Normands : les index laitiers explosent

L a sortie 2022/1, la principale de l’année, bouscule les repères pour choisir avec pertinence les taureaux adaptés à son élevage. La nouvelle méthode d’indexation, dite single step (en français une seule étape), estime mieux le potentiel génétique des animaux (voir L’Éleveur laitier de juin 2022, page 54). Leurs index permettent d’identifier de façon plus précise leur profil, en positif comme en négatif. De ce fait, si la hiérarchie des animaux reste identique par rapport à l’ancien système, elle est plus éclatée. À partir de l’indexation 2021/3, l’organisme de sélection normand s’est prêté au jeu de la comparaison entre l’ancien et le nouveau calcul. « Les taureaux indexés sous single step en décembre 2021 à plus de 140 points d’Isu, ont vu en moyenne leur Isu progresser de 15 points par rapport à la méthode classique (151 points contre 136). » Les progressions les plus marquantes concernent le lait (+382 kg pour 794 kg de moyenne), la santé de la mamelle (+ 0,4 pour 1,2), la morphologie (+ 0,4 pour 1,4) et surtout la reproduction (+ 0,6 pour 0,5). L’accroissement des TP, TB, mamelle, aplombs, format et musculature est un cran en dessous : + 0,1 à + 0,3. À noter que la synthèse bouchère n’est pas encore sous single step.

Changer ses repères

« Si l’on souhaite un progrès génétique significatif, il faut réévaluer ses repères, estime Jean-Christophe Boittin d’Innoval - Evolution. Un taureau normand est désormais considéré laitier à très laitier à partir de 1 200 kg. Pour les taux et la morphologie, l’effet est bien marqué à partir de 1. Mais attention, il ne faut pas tomber dans l’excès de simplicité et rejeter ce qui est en dessous », ajoute-t-il. Car qui dit repère élevé, dit taureaux confirmés éliminés par les jeunes concurrents, au moins sur le lait. La stratégie menée jusque-là par Origen Normande s’en trouve bousculée. « Dans nos gammes, nous avons des taureaux confirmés, des jeunes taureaux également confirmés et des pedigrees plus récents. Notre création génétique repose sur le bon équilibre entre ces trois segments. Nous voulons continuer à travailler de cette façon », dit Matthieu Chambrial d’Origen Normande. Il prône la prudence car l’indexation en single step n’en est qu’à ses débuts. « Ce qui compte, c’est le progrès génétique généré dans les élevages », souligne-t-il. Dans l’immédiat, l’absence de taureaux estampillés « ON » dans les profils laitiers sélectionnés par L’Éleveur laitier n’est donc pas étonnante.

Notre magazine tient compte de l’évolution de l’indexation dans la définition de ses trois profils de taureaux : production, complet et fonctionnel. Le premier voit son seuil laitier de sélection rehaussé de 400 kg (1 200 kg contre 800 kg précédemment) et celui des taux et mamelle de 0,2 point (0,7 contre 0,5).

Afin qu’émerge une plus large palette de taureaux, le profil complet est un peu moins revalorisé en lait : + 200 kg (700 kg contre 500 kg). Les taux, la synthèse bouchère et les aplombs le sont de 0,2 (0,7 contre 0,5). Enfin, les critères minimaux du profil fonctionnel font un saut : au moins 1,2 en santé de la mamelle et en reproduction, et au moins 1 en aplombs.

Plus de choix

Le réajustement du potentiel génétique via single step a pour autre conséquence la constitution de gammes de producteurs plus riches. Habituellement, la sélection de L’Éleveur laitier sur les profils « production » et « fonctionnel » aboutit à l’émergence de quatre à huit taureaux. Cette année, c’est le double (fonctionnel) ou le triple (production). Le profil complet, lui, reste stable avec une quinzaine de reproducteurs.

Lait : niveaux inédits

L’indexation 2022/1 propulse l’index lait dans des niveaux jamais égalés jusque-là. Avec ses 1 890 kg, Raspoutine (Oltraford sur Locarno) est le fer de lance (photo). Derrière lui, ce sont 75 taureaux à au moins 1 200 kg et le double à au moins 1 000 kg. Le numéro un de la race, Raphaelo (Oberlin sur Medellin) a été écarté malgré ses 193 d’Isu. Du jamais vu ! Ses taux négatifs lui sont fatals. Dommage, car il offre une affiche très alléchante : 1,1 en mamelle, 2,5 en santé de la mamelle (donc logiquement négatif à - 0,3 en vitesse de traite), 2,3 en synthèse bouchère et 1,6 en reproduction. Insistons sur ce dernier critère car les vaches perdent de leur qualité fécondante quand elles augmentent leur niveau laitier. Huit sont passés au travers des mailles de nos filets dont Roquefort et Neuville qui améliorent significativement la reproduction (1,1 et 1). Roquefort a en plus un effet positif sur l’intervalle vêlage –première IA (0,6). Par la limitation des génisses de renouvellement, c’est l’un des leviers pour diminuer l’em­preinte carbone de son élevage.

Surveiller la facilité de naissance

En revanche, deux divergent sur la variabilité génétique : Ramdam et Newyork. Par Game Over repoussé au troisième rang de son pedigree, le premier bénéficie d’un coefficient de parenté femelle considéré comme faible aujourd’hui (6 %), tandis que le second franchit la ligne rouge des 7 %. Pour rappel, à 6,25 %, les grands-parents du produit à naître sont, en moyenne, cousins germains. « Même si l’Inrae et l’Institut de l’élevage déconseillent l’utilisation de taureaux confirmés, nous raisonnons de façon globale et faisons le choix de proposer de nouveau aux éleveurs, le leader des taureaux avec filles, explique Jean-Christophe Boittin. À nous de bien maîtriser sa diffusion. »

Innoval-Evolution conseille Newyork sur les filles de Loco, Ouijoli, Nacre, Jankee, Picard ou encore Medicis.

De son côté, Origen Normande donne un petit coup de projecteur sur le confirmé Laora (Iciliussur Ulozon). « Il est sans sang Uperise et Saintyorre, ce qui se traduit par 6 % de parenté femelle et 10 points d’Isu supplémentaires par ses allèles chromosomiques, souligne Matthieu Chambrial. Malgré ses 745 kg de lait et ses qualités d’élevage, il ne figure ni dans nos taureaux complets ni dans nos fonctionnels, à cause de son TB à 0,2 et la STMA à 0,9. « Il améliore en particulier la facilité de naissance des veaux, notamment des génisses, ce qui est important pour bien gérer l’aptitude bouchère. En introduisant la synthèse bouchère dans l’Isu, nous savions que le facteur limitant serait la naissance. »Origen Normande conseille Laora sur les sangs Eolonne, Eville, Fuseos Isy, Game Over, Jaures ou Jolfover.

La famille Eville se détache

Parmi les 38 reproducteurs sous les feux de L’Éleveur laitier, huit ont pour origine Eville, via leur père ou grand-père Montfort, Manchester ou Mercredi (Ramdam, lire précédemment), ou directement par Eville (Ringman, profil  fonctionnel).

Ils ne brillent pas par leur pedigree, leur ancêtre étant Saintyorre, mais ont un parcours atypique. Montfort et Manchester sont en effet deux pleins frères avec des niveaux laitiers contrastés : respectivement 1 078 kg et - 3,2 en TB, et 578 kg et + 2,9 en TB en 2022/1. Les six descendants concernés se retrouvent avec un écart laitier plus serré : entre 781 kg pour le plus faible (Pele GH, profil complet) et 1 268 kg pour le plus élevé (Razzia, profil production). De plus, les Montfort se libèrent de son très négatif TB. En revanche, les six cousins n’échappent pas à la dégradation de l’intervalle vêlage – première IA des frères.

claire hue